2489, tome 1, Prologue!
2489, tome 1, Prologue!

2489, tome 1, Prologue!

2090, Alert[1], Nunavut, Canada

 

— Bienvenue à tous ! lança le Général. Je suis extrêmement heureux de vous savoir avec nous. Vous vous retrouvez ici parce que vous avez été choisis parmi des millions de candidats pour une mission de la plus haute importance : sauver le monde !

Cette dernière réplique arracha des rires dans l’assistance. Moi aussi, je n’étais pas encore convaincue du sérieux des faits lancés. J’avais plutôt l’impression de me retrouver dans un mauvais film hollywoodien de superhéros. Depuis que nous avions atterri dans le Nord canadien, j’avais commencé à regarder partout à la recherche de caméras cachées. C’était devenu la mode de faire des téléréalités avec de purs inconnus à leur insu, depuis que la loi sur la sécurité internationale avait aboli le droit à la vie privée. Les autorités avaient réussi à adopter cette loi absurde le jour où des attentats terroristes avaient presque détruit simultanément de grandes villes comme Mexico, Montréal, Paris et Tokyo en 2061. Il avait donc été décidé, pour la sécurité internationale, que tous les faits et gestes de chacun pouvaient être scrutés à la loupe. Plusieurs compagnies de télécommunication privées avaient profité des flous juridiques de cette nouvelle loi. Elles utilisaient les informations rendues publiques comme des cas de fraude ou d’adultère pour aller filmer à leur insu les propriétaires de ces faits. Ces émissions disponibles sur le web étaient fort critiquées, car elles mettaient sur la sellette des hommes et des femmes ordinaires qui voyaient leur vie personnelle étalée au grand jour avec les répercussions dévastatrices que cela engendrait pour eux. Le taux de suicide dans ces participants improvisés était énorme et pourtant, le gouvernement fermait les yeux sur ces pratiques télévisuelles douteuses sous prétexte que la sécurité internationale primait sur le reste. Malgré toute la publicité négative qu’elles pouvaient recevoir, ces émissions fracassaient des records de cotes d’écoute. La curiosité de ce qui se passait chez le voisin avait toujours été le point faible de l’humain…

Je n’aurais donc pas été surprise de découvrir des caméras, épiant nos réactions suite à cette annonce dramatique de la supposée fin du monde imminente. Les producteurs étaient prêts à tout pour faire de la bonne télé. J’avais trouvé encore plus suspicieuse notre venue dans ce Nord canadien, lorsque nous étions entrés dans le monte-charge de l’établissement. La présence de l’ascenseur dans ce bâtiment me rendait plus méfiante, d’autant plus qu’il ne comptait qu’un seul étage. L’étrangeté de la situation me faisait encore plus croire à une mise en scène et la montée que nous avions semblé faire accentuait mes doutes. Le grand hall où nous arrivâmes, lorsque les portes métalliques s’ouvrirent, était ceinturé d’immenses baies vitrées teintées. Il était impossible de voir de l’autre côté. C’était évident pour moi qu’il y avait alors des caméras cachées derrière celles-ci.

— Je comprends votre scepticisme, reprit le Général. C’est pour cela que je vous ai fait venir jusqu’ici. Nous avons récupéré l’ancienne base militaire des Forces armées canadiennes d’Alert  au Nunavut pour en faire notre refuge secret. Vous vous trouvez actuellement dans les bureaux de l’Agence internationale du Temps !

Là ça en était trop ! Tout ça n’avait aucun sens. Comment les producteurs de télévision pouvaient-ils embarquer dans un autre truc de voyage dans le temps ? Il y en avait tellement eu, ces dernières années. Il était clair qu’en sortant d’ici, je déclinerais mon implication dans l’émission.

— Vous êtes entrés dans ce bâtiment en 2090, n’est-ce pas ? continue-t-il. Eh bien, j’ai l’honneur de vous annoncer que vous êtes maintenant en 2489.

Les murmures et les rires dans la salle confirmèrent l’opinion que les gens avaient de cette révélation. Personne n’embarquait dans cet énorme bateau de créativité. Le Général sourit devant nous.

— Vous faites bien d’être méfiants. De nos jours, il est toujours important de vérifier les faits. Cependant, je ne suis pas ici pour vous faire avaler des inepties. Je n’ai pas de temps à perdre à vous inventer des mensonges. Ce que je vous affirme aujourd’hui est véridique. Le 30 juin 2489, à quinze heures trois, la Terre mourra et cette agence est le seul espoir pour sauver l’humanité.

Le Général se tourna et appuya sur le bouton de sa montre. Les fenêtres en face de nous devinrent claires et nous aperçûmes l’horreur qui se dressait devant nous.

— Bienvenue à Alert, le 30 juin 2489, cinq minutes avant la fin.

Ce que nous vîmes nous glaça le sang. Le Nord où nous devions nous trouver ne ressemblait en rien à ce qu’il était lorsque nous étions entrés dans l’établissement. La neige avait fait place à des geysers brûlants et l’océan avait disparu, laissant la bâtisse où nous étions sur le bord de ce qui semblait être un précipice sans fond. Je trouvais les effets spéciaux drôlement bien faits pour une simple téléréalité. Les gens de la télévision s’étaient vraiment surpassés, pensais-je.

— Au début de l’année 2469, des changements inquiétants dans des faits historiques ont alarmé les différents gouvernements. Cette surveillance temporelle a commencé quelques années plus tôt grâce à des technologies inventées sur la base, entre autres, des études du physicien théoricien, Albert Einstein, par une société privée. Lorsque les chercheurs de cette compagnie ont découvert par hasard la catastrophe que vous avez sous les yeux, ils ont mis des années à essayer de comprendre ce qui avait causé cette dernière. Ils ont tout d’abord pensé à la répercussion des changements climatiques tant décriés pendant des décennies par les spécialistes environnementaux. Pourtant, après plusieurs années d’analyses, ils ont constaté une réalité bien plus dangereuse : l’Histoire était parsemée de petits bogues temporels.

— Et cela signifie quoi, exactement ? lança une voix.

— Il existe à travers le passé des fractures temporelles causées par des anachronismes. Des gens qui s’introduisent sans le vouloir dans des moments de l’Histoire qui ne sont pas les leurs, par des distorsions temporelles que nous n’arrivons pas encore à prévoir et colmater. Ces présences fortuites partout sur la ligne du temps causent des cassures sur celle-ci, amenant inévitablement la Terre à imploser, ce 30 juin 2489 à quinze heures trois minutes.

— Si vous êtes l’Agence du Temps, comment se fait-il que des erreurs dans l’Histoire se produisent ? reprit une autre voix dans la foule. Et pourquoi on n’en a jamais entendu parler ?

— C’est deux excellentes questions ! approuva le Général. Cela fait des années que notre organisation parcourt le passé à la recherche de réponses. Vous n’avez aucune connaissance de ces modifications dans l’Histoire parce que pour vous, rien n’a changé. Malheureusement, l’ampleur de la tâche est considérable et notre équipe beaucoup trop mince. Nous avons donc épluché à travers les époques les candidats pour faire le travail. Vous êtes les meilleurs aspirants de l’année 2090 et nous avons besoin de vous pour éviter cela…

Le Général laissa sa phrase en suspens et se tourna vers la grande baie vitrée. Nous le suivîmes du regard et là, nous vîmes l’horreur. Cela ne pouvait plus être qu’une simple émission de télévision. La Terre se mit à trembler violemment. Une énorme boule de feu sortit du précipice où se trouvait dans le passé l’océan Atlantique, ce qui nous fit tous sursauter. De la lave jaillissait de ce trou sans fond ! La Terre était en train de se consumer de l’intérieur ! Soudainement, une explosion éclata, provoquant des cris dans l’assistance. Le sol tremblait et semblait se dérober en dessous de nos pieds. C’était irréel ! Lorsque la deuxième boule de feu sortit du précipice et se dirigea droit sur nous, je fermai les yeux dans l’espoir d’atténuer la douleur de la mort qui était imminente. Diable, où étaient les caméras quand nous en avions besoin ?

[1].Alert est le lieu habité le plus au nord de la planète, à seulement 817 km (508 mi) du Pôle Nord, situé dans le territoire du Nunavut, dans l’Arctique canadien. Situé à l’extrême nord de l’Île d’Ellesmere, il s’agit d’une base militaire canadienne avec une station du Service météorologique du Canada. La station est dotée d’une route de 6 kilomètres de long qui mène à son aéroport. Cette route, aussi bien que l’aéroport d’Alert, est également la route et l’aéroport les plus au nord sur Terre.